6/17/2014

KENNETH WHITE OVER SPORT



Michèle Duclos : Vous êtes un grand marcheur, mais vous n’êtes et n’avez jamais été attiré par les sports, collectifs ou individuels ?
Kenneth White : Le sport m’indiffère complètement. Si on a pu dire de la religion qu’elle était l’opium du peuple, le sport en constitue le dopage, disons, laïc. On peut très bien imaginer un gouvernement de l’avenir qui aurait un ministère des religions et des sports ayant pour mission la crétinisation totale de la population. Ajoutons à cela le fait que, pendant que l’on prononce de grands discours sur l’olympisme rassembleur des peuples, sur le terrain c’est le déchaînement des passions identitaires. Enfin, passons. J’ai fait du sport forcé quand j’étais écolier en Grande-Bretagne. J’ai même fait partie de l’équipe de football du lycée qui portait les couleurs de l’établissement de ville en ville. Que de samedis après-midi gâchés à shooter un ballon lourd de boue. À la même époque, j’ai joué aussi au tennis (cela peut être amusant, un moment), et au golf, dont on a dit que c’était la meilleure façon de gâcher une bonne promenade. Je n’ai jamais considéré la marche comme un sport. Simplement comme un mouvement naturel, le plus simple moyen de mettre le corps-esprit en branle. Si je dis « simple », je veux dire « qui a lieu en dehors des codes et des contrôles » (j’évite le plus possible outils et machines). Même chose pour la course, c’est-à-dire la marche accélérée. Entre dix et dix-huit ans, je courais chaque soir le long de la côte entre Fairlie et Largs, cinq kilomètres, pour le pur plaisir. Cela m’a donné une bonne base. C’était bien avant la mode du footing et du jogging.
M. D. : La marche n’est pas pour vous une simple activité physique. Déjà vous emmenez sur le chemin des douaniers des invités de marque comme Nietzsche (« On a High Ridge between two Seas » dans le n° 6 du Journal of Nietzsche Studies, 1993 ; inédit en français) et Van Gogh sur le chemin des douaniers (Van Gogh et Kenneth White, Éditions Flohic, 1994).
K. W. : La marche est, justement, propice à la méditation. Et la méditation peut prendre plusieurs formes. On peut marcher pour se vider l’esprit, c’est la méditation de la vacuité. Mais on peut aussi laisser errer l’esprit. Celui-ci commencera peut-être par « simplement » capter des phénomènes : cette pie sur une branche de bouleau, cette lumière sur les îles… Cela peut donner lieu à ce que j’appelle la promenade-haïku. Et puis le processus peut se complexifier encore. En allant jusqu’à des dialogues avec des compagnons de route qui me sont familiers. C’est en silence que je dialogue le plus volontiers.

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